Légende du Concile de Mâcon

Selon une légende vivace, des évêques auraient discuté fort sérieusement de l'existence de l'âme des femmes lors d'un concile.



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Selon une légende vivace, des évêques auraient discuté fort sérieusement de l'existence de l'âme des femmes lors d'un concile. Pour les uns, la question aurait été évoquée lors du concile de Trente (1545), pour d'autres versions de cette légende, au VIe siècle lors du second concile de Mâcon. Le concile en question n'aurait reconnu l'existence de l'âme des femmes qu'à une majorité de trois voix (ou d'une seule suivant d'autres sources).

Un tel débat n'a jamais eu lieu, les femmes ayant été baptisées autant que les hommes dès les origines de la chrétienté, ou alors martyres pour cette raison, comme Blandine de Lyon. Cette légende puise son origine dans une controverse linguistique qui eut lieu lors du deuxième concile de Mâcon en 585.

Propagation de la légende

Origines

L'histoire semble prendre racine vers la fin du seizième siècle, lorsque le luthérien Lucas Osiander (l'Ancien) présente ainsi un incident du deuxième concile de Mâcon (585), connu par l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours :

«De plus, on confondit lors de ce synode un évêque qui prétendait que la femme ne peut pas être nommée être humain (mulierem non posse dici hominem). Voilà bien une question sérieuse et digne d'être discutée dans un synode. Moi, j'aurais mis cet évêque à garder les porcs. Car si sa mère n'était pas un être humain, il était apparemment né d'une truie[1]

Parallèlement, un jeune clerc enseignant en Silésie, Valentius Acidalius, publie en 1595 Disputatio perjucunda qua anonymus probare nititur mulieres homines non esse, un pamphlet où il caricature les raisonnements à l'aide desquels les sociniens (il dit "anabaptistes") contestent le dogme de la divinité de Jésus-Christ. Il veut montrer que le même genre de raisonnements permettrait de prouver la non-humanité des femmes. Il ne parle pas du concile de Mâcon, mais, fait à noter, il affirme que les «anabaptistes» dénient une âme aux femmes[2].
En réponse, un universitaire luthérien (qui ne semble pas avoir compris qu'Acidalius plaisantait), Simon Geddicus, publia un contre-pamphlet intitulé "Une défense du sexe féminin", conçu pour répondre point à point aux arguments de Valentius.
La Disputatio perjucunda et sa réponse furent fréquemment rééditées, avec de nouvelles gloses, et on en trouve une version imprimée en France à Lyon en 1647, sous le titre Sur le fait que les femmes n'ont point d'âme, et n'appartiennent pas à la race humaine, comme le prouvent maint passages des Saintes Écritures. Ce livre - et les débats qu'il inspirait - attira l'attention de l'Église catholique, et le Pape Innocent X l'inscrivit à l'index par décret du 18 juin 1651.

Développements

Un pasteur luthérien de la région de Francfort, Johannes Leyser, [3] publie en 1676 un ouvrage intitulé Le triomphe de la polygamie, où, renvoyant à Osiander, il reprend l'idée que les pères conciliaires de Mâcon auraient bel et bien mis en doute l'appartenance des femmes à l'humanité. Farouche misogyne, il voit là un argument en faveur de sa thèse et présente l'incident comme suit :

«Parmi les saints pères [du concile], il y en eut un qui défendit l'idée que les femmes ne pouvaient pas être nommées des êtres humains. L'affaire parut si importante qu'on la débattit publiquement en présence de Dieu, et ce ne fut qu'après de vives et nombreuses controverses qu'on conclut que les femmes étaient de l'espèce humaine. [4]»

Il y a ainsi, en rapport avec la non-appartenance des femmes à l'humanité, un thème du concile de Mâcon, issu du passage d'Osiander, et un thème de la non-existence de l'âme des femmes, issu de la Disputatio perjucunda.

En 1697, Pierre Bayle, le grand érudit calviniste français établi en Hollande, se fait complaisamment l'écho de ces publications dans son Dictionnaire historique et critique. Après avoir parlé de la Disputatio perjucunda, il ajoute en fin de note, en renvoyant à Leyser (et son commentaire a peut être été suggérée par la controverse de Valladolid de 1550)  :

«Ce que je trouve qui plus est étrange est de voir que dans un Concile [de Mâcon] on ait gravement mis en question si les femmes étaient une créature humaine, & qu'on n'ait décidé l'affirmative qu'après un long examen[5]

Au XVIIIe siècle, on voit paraître en 1744 à Amsterdam, Problèmes sur les femmes, par Meusnier de Querlon, qui est la traduction libre du Mulieres homines non esse de Valens Acidalius, qualifié de théologien allemand. En 1766, sous le titre Paradoxe sur les femmes où on voit qu'elles ne sont pas de l'espèce humaine, par Charles Clapiès, docteur en médecine, la même traduction est republiée avec celle du factum de Simon Gedik (sic) en réponse et des notes.

Prospérité de la légende

C'est peut-être le poète Évariste Parny qui fusionna les deux thèmes du concile de Mâcon et de l'inexistence de l'âme :

«Cessez par conséquent vos plaintes, Mesdames,

L'infaillible Église autrefois
À vos corps si bien arrondis
Durement refusa des âmes;
De ce Concile injurieux
Subsiste encor l'arrêt suprême;
Qu'importe, vous charmez les yeux,
Les cœurs, les sens, et l'esprit même;

Des âmes ne feraient pas mieux[6]

Dès 1734, l'abbé Laurent-Josse Leclerc avait inséré dans une réédition posthume du Dictionnaire de Bayle une note laissant entendre que l'incident de Mâcon n'avait été qu'une discussion grammaticale[7]. Cela n'empêchera pas rééditions et réfutations de la légende de se succéder[8].

La légende grandit d'ailleurs en marchant. A titre d'exemple, Louis Julien Larcher la raconte comme suit dans son ouvrage La femme jugée par l'homme, en 1858 :

«En 585, dans un concile tenu à Mâcon, un évêque mit en doute que la femme appartînt à l'espèce humaine. Quant à lui, il pensait que dans l'ensemble des cas, si elle en faisait partie, elle était au moins d'une nature fort inférieure à l'homme. Plusieurs séances furent employées pour discuter sur ce point. Les avis étaient partagés. Cependant, à la fin, les partisans du beau sexe l'emportèrent, et par galanterie probablement, messieurs les évêques voulurent bien décider que la compagne de l'homme faisait partie du genre humain. [9]»

Dans «Les Enterrements civils» Victor Hugo rédigé au sujet du prêtre :

Est-ce que ce vivant à regret, que la chair
Indigne, et qui jadis nia l'âme des femmes...

Au XXe siècle, le prétendu débat sur l'existence de l'âme des femmes est toujours tenu pour vérité historique par Benoîte Groult en 1975 dans Ainsi soit-elle[10], par Hervé Bazin dans son Ce que je crois en 1977 et même par le médiéviste Jacques Le Goff[11]. En 2005, Michel Onfray[12] fait discuter par les pères conciliaires de Mâcon «le livre d'Alcidalus Valeus» néenmoins paru mille ans après ce concile[13]. En 2009, Pascal Picq et Philippe Brenot[14] affirment toujours dans Le Sexe, l'Homme et l'Évolution qu'«elle était bien inférieure à l'homme puisque n'ayant pas d'âme, selon la conclusion du Concile de Mâcon».

En revanche, dans l'Histoire des femmes en Occident, Jacques Dalarun rédigé : «Seul l'emploi abusif d'une allusion de Grégoire de Tours († v. 594) au concile de Mâcon de 585 a pu laisser croire que les clercs discutèrent sérieusement de savoir si la femme avait une âme»[15].

Concile de Mâcon

La légende a comme origine probable une question linguistique qui aurait été évoquée lors du deuxième concile de Mâcon en 585[16], au cours duquel un évêque s'est demandé si homo (en latin), désignait l'être humain généralement - femmes comprises - et non exclusivement le sexe masculin[17].

Cette discussion nous a été transmise par Grégoire de Tours dans son Histoire des Francs :

«Pendant ce synode un des évêques se leva pour dire qu'une femme ne pouvait être dénommée homme ; mais cependant il se calma, les évêques lui ayant expliqué que le livre sacré de l'Ancien Testament enseigne qu'au commencement, quand Dieu créa l'homme, “il créa un mâle et une femme et il leur donna le nom d'Adam”, ce qui veut dire homme fait de terre, désignant ainsi la femme autant que le mâle : il qualifia par conséquent l'un et l'autre du nom d'homme. D'ailleurs le Seigneur Jésus-Christ est nommé fils de l'homme parce qu'il est le fils d'une vierge, c'est-à-dire d'une femme, et quand il s'apprêta à changer l'eau en vin, il lui dit : “Qu'y a-t-il entre moi et vous, femme ?”, etc. Cette question, ayant été réglée par énormément d'autres témoignages toujours, fut laissée de côté.»[18]

La question posée était d'ordre linguistique et non philosophique. La citation de la Vulgate est en effet :

«Et creavit Deus hominem ad imaginem suam, ad imaginem Dei creavit illum, masculum et feminam creavit eos.» (Gn 1.  27) (littéralement : Et Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa).

En latin classique, le mot homo sert à désigner tout être humain (sans distinction de sexe) ; le mot vir sert à désigner un individu de sexe masculin, et femina ou mulier l'individu de sexe féminin, (femina sert à désigner la réalité biologique, et correspond mieux à femelle, alors que mulier renvoie plutôt au rôle social).

Au VIe siècle, la langue latine avait évolué, et la situation s'était inversée. Dans le vocabulaire théologique, le mot vir s'emploie de plus en plus dans un sens spirituel, pour nommer l'homme ou la femme ayant la force et la grâce, c'est-à-dire la vertu (vir, virtus). Il arrive même que vir soit synonyme d'ange. Inversement, le mot homo est de plus en plus utilisé pour désigner un individu de sexe masculin, et plus rarement féminin.

La question traduit ce glissement de sens, et la réponse des évêques rappelle l'usage ancien du terme homo pour signifier genre humain (en dehors de toute référence au sexe, et incluant donc les femmes).

Pas un instant, il n'a été question de savoir si la femme avait ou non une âme, que ce soit dans cette discussion (où le terme n'apparaît d'ailleurs pas) ou en général dans la doctrine catholique.

Annexes

Bibliographie

Notes et références

  1. Lucas Osiander, Epitomes Historiæ ecclesiasticæ, Centuria sexta, l. 4, ch. 15, Tübingen, 1598, p. 285.
  2. . Édition de La Haye, 1641, p. 60.
  3. Pasteur luthérien de formation, il avait été aumônier militaire dans les armées danoises, mais révoqué de sa fonction, chassé du Danemark et son ouvrage interdit par un arrêt du roi Christian V de Danemark.
  4. Theophilus Aletheus (pseudonyme de Johann Leyser), Polygamia Triumphatrix, Lund en Scanie mais en réalité Amsterdam, 1682, p. 123. Cité par Annales de philosophie chrétienne.
  5. BAYLE (Pierre), Dictionnaire historique et critique, tome I, 2e partie, Amsterdam, Reinier Leers, 1697, p. 1224, article «Geddicus» note c (à la fin de la note).
  6. Évariste Parny, Les Voyages de Céline, Paris, 1806, p. 34.
  7. Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, 5e édition, revue, corrigée et augmentée de remarques critiques, t. III, rem. sur l'article Gediccus (sic), p. 870; Amsterdam (en fait Trévoux), 1734. Pour l'attribution des remarques à l'abbé Laurent-Josse Leclerc, voir le Mercure de France, février 1737, pp. 271-272.
  8. Voir Annales de philosophie chrétienne, pp. 64 et suivantes.
  9. Livre en ligne, p. 120 et 122.
  10. Benoîte Groult attribue ce débat au Concile de Nicée
  11. «Au moment même [le douzième siècle] où la femme se libère, (... ) où on ne se demande plus si elle a une âme (... )» Jacques Le Goff, Les intellectuels au Moyen Âge, rééd. 1985, Paris, p. 45.
  12. Michel Onfray, Traité d'athéologie, Grasset, 2005, p. 137; Livre de Poche, 2006, p. 145.
  13. La controverse autour du Traité expliquée aux athées, Lire, février 2006
  14. Pascal Picq et Philippe Brenot dans Le Sexe, l'Homme et l'Evolution, Odile Jacob, 2009, p. 249.
  15. Jacques Dalarun, dans Georges Duby et Michelle Perrot (dir. ), Histoire des femmes en Occident, vol. II, Le Moyen Âge, réimpr. Perrin, 2002, coll. Tempus, p. 54.
  16. Certains auteurs font mention d'un «synode», sur base de l'appellation que Grégoire de Tours fait de ce concile dans son''Histoire des Francs
  17. Geneviève FRAISSE, Droit de cuissage et devoir de l'historien, Clio, numéro 3/1996, Métiers. Corporations. Syndicalisme, en ligne, Consulté le 26 novembre 2007
  18. S. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, traduit du latin par Robert Latouche, Paris, Les Belles Lettres, collection «Les classiques de l'Histoire de France au Moyen Âge», 1965, tome II, p. 150 (livre VIII, chapitre XX).

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