Affaire Perruche

L'affaire Perruche s'est déroulée à partir de 1989 en France, devant les tribunaux, le Parlement français, puis la Cour européenne des Droits de l'Homme.



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L'affaire Perruche s'est déroulée à partir de 1989 en France, devant les tribunaux, le Parlement français, puis la Cour européenne des Droits de l'Homme. Cette affaire porte en premier lieu sur la notion de «préjudice d'être né» et la responsabilité médicale, et les débats qu'elle a suscités se sont étendus aux questions de handicap, d'eugénisme et d'avortement. L'affaire tient son nom de Nicolas Perruche, né gravement handicapé, sa mère ayant contracté une rubéole non diagnostiquée et n'ayant pu par conséquent recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Précisions préalables

Une femme enceinte qui contracte la rubéole avant la 11e semaine d'aménorrhée a plus de 90% de risques de la transmettre à l'embryon qu'elle porte.

La rubéole, quand elle est contractée par cet embryon, entraîne nécessairement - le risque est par conséquent alors de 100% - un handicap physique et mental grave (lésions auditives (surdité), oculaires (allant jusqu'à la cécité), cardiaques et mentales), le syndrome de Gregg.

L'interruption volontaire de grossesse (IVG) est , en France, complètement libre, sans nécessiter aucune justification : à l'époque des faits (1982), quand elle est effectuée avant 10 semaines, et avant 12 semaines depuis juillet 2001. L'interruption médicale de grossesse est elle permise jusqu'à l'accouchement, en cas de risque grave pour la vie de la mère ou quand le fœtus est atteint d'une maladie grave ou incurable au moment du diagnostic.

Histoire de la famille Perruche

En 1982, la petite fille de quatre ans du couple Perruche attrape la rubéole, maladie bénigne a priori, mais dangereux pour un embryon avant 11 semaines d'aménorrhée.

Près d'un mois plus tard, Madame Perruche présente les mêmes symptômes que sa fille, caractéristiques de la rubéole. Son médecin lui prescrit un test lui servant à pouvoir décider d'une interruption volontaire de grossesse (IVG) ou non, au cas où son embryon aurait attrapé cette maladie.

Mme Perruche indique au médecin que si son enfant a contracté la rubéole, par conséquent si elle va accoucher d'un enfant à coup sûr particulièrement gravement handicapé, elle demandera une IVG.

L'examen de sang, immédiatement prescrit, examen banal effectué en laboratoire, se révèle négatif à la rubéole. Mais un autre examen, effectué 15 jours plus tard par le même laboratoire, se révèle positif.

Un contrôle, réglementaire, est par conséquent effectué sur le premier prélèvement, qui se révèle positif.

Ces résultats ne sont pas contradictoires.

En effet, une personne ayant contracté la rubéole se révèle ensuite positive aux tests. En d'autres termes, si les deux échantillons sont positifs, cela veut dire simplement que la personne a antérieurement attrapé la rubéole, et que les analyses ne font que révéler des traces toujours présentes dans le sang de cette ancienne contamination, par conséquent sans transmission au fœtus envisageable.

Au contraire, si l'échantillon était négatif le 12 mai et positif le 27, cela veut dire que la rubéole est bien présente et en cours d'évolution. L'embryon a par conséquent le risque de devenir un enfant aveugle, sourd, muet, cardiaque et mentalement handicapé.

Le médecin affirme à Mme Perruche, alors âgée de 26 ans, que c'est la première version qui est la bonne, c'est à dire que son embryon n'a pas la rubéole.

Le 14 janvier 1983 naît Nicolas, affligé de troubles neurologiques graves, surdité bilatérale, rétinopathie (œil droit ne voyant pas et glaucome), et cardiopathie, dus, sans contestation aucune, à la rubéole contractée par sa mère. Cette dernière aurait choisi une IVG si elle avait su qu'elle avait la rubéole avant le délai de 10 semaines d'aménorrhée, ou une interruption médicale de grossesse (IMG) si ce délai avait été dépassé. Nicolas ne serait alors pas né.

En juillet 1989, tandis que Nicolas est âgé de 6 ans et demi, le couple Perruche assigne au fond le médecin, le laboratoire et leurs assureurs, au nom de leur enfant.

L'arrêt Perruche

Le 13 janvier 1992, le tribunal de grande instance d'Évry juge le laboratoire et le médecin «responsables de l'état de santé de Nicolas Perruche et les condamne in solidum avec leurs assureurs» à l'indemnisation de Nicolas et de ses parents.

Le 17 décembre 1993, la Cour d'appel de Paris infirme partiellement le jugement, en refusant d'admettre la réparation pour l'enfant Nicolas.

Par arrêt du 26 mars 1996, la première chambre civile de la Cour de cassation prononce une cassation dans les termes suivants : «Attendu qu'en se déterminant ainsi, tandis qu'il était constaté que les parents avaient marqué leur volonté, en cas de rubéole, de provoquer une interruption de grossesse et que les fautes commises les avaient faussement induits dans la croyance que la mère était immunisée, en sorte que ces fautes étaient génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère, la cour d'appel a violé le texte susvisé.»

Le 5 février 1999, la Cour d'appel d'Orléans, statuant comme cour de renvoi, déclare que le préjudice de Nicolas n'est pas dû aux fautes du laboratoire et du médecin, mais a été causé par une infection rubéolique intra-utérine. Les parents forment un nouveau pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 17 novembre 2000[1][2][3], la Cour de cassation, en Assemblée plénière, casse cet arrêt et donne ainsi raison aux époux Perruche en déclarant «que tant que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats constitués avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse et ce afin d'éviter l'apparition d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues.» C'était la première fois que la jurisprudence consacre en termes aussi clairs le droit pour l'enfant né handicapé d'être indemnisé de son propre préjudice (le fait que les parents soient indemnisés n'était pas en cause dans cette affaire et n'est plus contesté depuis longtemps au moment de la décision).

Les suites de l'arrêt Perruche

Cet arrêt a génèré un tollé dans l'opinion publique et des commentaires quelquefois particulièrement critiques dans la doctrine juridique. On reprochait à la Cour de cassation d'avoir reconnu comme un préjudice l'unique fait d'être né : en effet, selon les critiques, si le laboratoire n'avait pas commis cette faute, Nicolas Perruche ne serait pas né, dans la mesure où il y aurait eu IVG. L'unique conséquence de la faute du laboratoire était par conséquent que Nicolas Perruche était venu au monde, puisque les lésions qu'il avait subies ne pouvaient être évitées et n'étaient en tout état de cause pas les conséquences de la faute du laboratoire médical, qui n'avait commis qu'une erreur de diagnostic.

Des associations de défense des handicapés ont alors mené la fronde, estimant que cet arrêt affirmait que la vie des handicapés ne méritait pas d'être vécue.

Le député Jean-François Mattéi a ensuite proposé, le 3 décembre 2001, une loi spécifique concernant l'indemnisation dans de tels cas[4]. Reprise dans l'art. 1 de la loi Kouchner du 4 mars 2002, relative aux droits des malades ainsi qu'à la qualité du dispositif de santé, cette proposition sera abrogée en 2005.

Cet article déclarait qu'il n'était pas envisageable d'être indemnisé pour «le préjudice d'être né» et posait le principe que le coût des soins aux handicapés devait être pris en charge par la solidarité nationale ; mais cette dernière disposition est restée lettre morte, seule l'impossibilité d'obtenir réparation du préjudice personnel étant entrée en vigueur (cf. ci-dessous la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme).

Cet article de loi avait pour principal objectif, selon ses initiateurs, de «répondre aux problèmes juridiques et éthiques posés par l'évolution de la jurisprudence relative à la responsabilité médicale en matière de diagnostic prénatal depuis l'arrêt Perruche de la Cour de Cassation (17 novembre 2000, confirmé par un arrêt du 28 novembre 2001).»

Le ministre de la Santé, Bernard Kouchner, avait ainsi présenté le projet de loi «relatif à l'interdiction de poursuivre une action en indemnisation du fait d'un handicap naturellement transmis» :

«

Mesdames, Messieurs,

Pour la première fois, probablement l'union s'est faite contre une décision de justice : droite et gauche, croyants et non-croyants, valides et handicapés.

Tous ont dénoncé dans les termes les plus vifs un arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 : eugénisme, discrimination, handiphobie sont les mots utilisés par les plus mesurés des commentateurs qu'ils soient journalistes ou juristes.

Ce projet de loi est né de cette émotion. Il trouve ses racines dans les valeurs de respect et d'égalité qui fondent notre civilisation. Il exprime par un ajout à l'article 16 du code civil notre attachement au respect dû aux personnes handicapées.

Un enfant atteint d'un handicap congénital ou d'ordre génétique peut-il se plaindre d'être né infirme au lieu de n'être pas né, telle est la question qu'il vous est demandé de trancher par la loi.

»

À partir de 2002, certains couples ont régulièrement remis en cause cette loi. La Cour européenne des droits de l'homme a été à son tour saisie par des parents. L'article de loi a lui-même été abrogé par la loi du 11 février 2005 relative aux handicapés ainsi qu'à l'égalité des chances, qui dispose que «la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap» quel qu'il soit[5]. Cependant, cette compensation ne vise qu'à compenser certaines charges liées au handicap (besoin d'aides humaines ou techniques, aménagement du logement et du véhicule, etc. ) et ne forme par conséquent pas une réparation intégrale du préjudice, qui avait été rendu envisageable par l'arrêt Perruche[6].

La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme

Dans deux arrêts du 6 octobre 2005 (affaires Maurice et Draon), la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à l'unanimité des 17 juges formant la Grande Chambre pour l'application rétroactive de la loi dite «anti-arrêt Perruche»[7][8][9]. Les juges européens ont estimé les indemnisations versées jusqu'désormais aux requérants «clairement insuffisantes».

Elle s'est fondée sur l'article 1er du protocole numéro 1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui accorde «à toute personne physique ou morale» le «droit au respect de ses biens» ce qui comprend les créances, c'est-à-dire, en l'espèce, le droit d'être indemnisé pour le préjudice que la Cour de cassation française avait reconnue.

La Cour a souligné «qu'en supprimant purement et simplement avec effet rétroactif une partie principale des créances en réparation» auxquelles pouvait prétendre l'enfant né handicapé «le législateur français l'a privé d'une valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de son patrimoine». Elle pointe aussi du doigt le fait que depuis 2002, l'engagement par l'État de prendre en charge le coût lié à une naissance handicapée n'avait pas été tenu, et que les familles qui avaient intenté une action en indemnisation qui leur avait été fermée par la loi du 4 mars 2002 n'avaient pas d'indemnisation équivalente.

Se mettant en conformité avec cet arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu trois arrêts le 24 janvier 2006[10], [11], [12], qui ont fait dire à certains commentateurs que la loi anti-arrêt Perruche ne s'appliquerait jamais [6].

La Cour déclare que la loi «anti-Perruche» ne peut pas s'appliquer de manière rétroactive aux affaires qui étaient déjà devant la justice au moment du vote du texte. Le Conseil d'État adopte la même position dans un arrêt du 24 février 2006[13]. Le Conseil d'État avait auparavant estimé que la loi était conforme au premier protocole additionnel à la CEDH[14], [15], [6].

Bibliographie

Liens externes

Notes et références

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